Présentation

Ce programme de recherche a pour objectif de développer une réflexion interdisciplinaire sur les enjeux esthétiques, épistémologiques et culturels de la sensorialité dans les pratiques artistiques contemporaines (danse, théâtre, arts plastiques). Le projet se décline en deux volets qui portent des regards analytiques distincts mais complémentaires sur les problématiques qu’ouvre la notion de sensorialité.

Si, par son étymologie, l’esthétique (du grec aiesthesis qui signifie sensation) place le sentirau cœur du projet artistique, la question du sensible est tout aussi centrale dans d’autres champs d’études tels que l’anthropologie, l’ethnologie, la sociologie, l’histoire de l’art, la philosophie, les neurosciences, les pratiques somatiques, etc. Cette transversalité s’explique
par le caractère constitutif de la sensorialité qui traverse et configure toute activité humaine individuelle comme collective, artistique comme quotidienne. En tant qu’objet d’étude, le sensible définit ainsi un champ de recherche aux multiples strates qui interroge entre autres les modalités d’interaction entre l’individu et l’environnement, les relations inter-subjectives ou encore les conditions d’accès à une conscience réflexive.

Pour explorer cette multiplicité de points de vue, ce projet regroupe une équipe de chercheurs et d’artistes de différentes disciplines dans un dispositif de recherche-création qui favorise le dialogue interdisciplinaire et définit l’expérimentation par la pratique comme préalable à toute conceptualisation.

Le projet se compose de deux volets qui déclinent respectivement des questions de recherche spécifiques autour de la sensorialité.

Volet 1. « Paysages cénesthésiques », mené par Anne-Claire Cauhapé.

L’objectif de ce volet est de développer une recherche théorique et artistique sur la notion de « cénesthésie ». Le terme de cénesthésie désigne une sensibilité dite « profonde » de laquelle émane le sentiment d’existence de chaque individu par la perception de son corps. Elle peut se définir comme une modalité sensible de relation à soi par une présence immédiate à son propre corps qui nous informe sur un certain état d’être. La cénesthésie peut ainsi se redécrire comme un paysage intérieur diffus dont le relief varie selon l’intensité et la nature de nos sensations, émotions ou pensées. Telle une caisse de résonance, cette sensibilité profonde est une expérience intime, pas nécessairement verbalisable, par laquelle l’individu prends le pouls de son existence dans toutes les gradations de son spectre : du sentiment exalté d’existence (se sentir vibrer, comme on le dit communément) jusqu’à l’exténuation de l’élan vital.
Qu’elles soient perçues de manière spectaculaire (par la déflagration d’un transport émotionnel par exemple) ou de manière subtile (par une impression diffuse et vague), les fluctuations de nos paysages intérieurs n’en restent pas moins toutes reliées à nos états de corps et dépendantes de notre capacité à éprouver et nous laisser éprouver. Nos « paysages cénesthésiques » sont en effet particulièrement poreux, réactifs et sensibles à nos expériences sensorielles quotidiennes grâce auxquelles nous entrons en relation avec le monde environnant et les personnes en présence.
Le concept de « paysages cénesthésiques » ouvre ainsi un vaste champ de recherche qui interroge la sensorialité sous un angle spécifique. Comment nos sensations agissent-elles comme des interfaces entre soi, le monde et autrui ? Comment percevoir avec plus d’acuité les fluctuations de nos paysages intérieurs ? Sur quoi repose la capacité à se laisser affecter/éprouver par la rencontre du monde et de l’autre ? Le concept porte également un fort potentiel poétique qui nourrira la recherche artistique pour la création de vidéo-danses.

Volet 2. retour sur soi : outils et méthodes, mené par Corinne Melin

L'objectif de cette recherche est d’interroger la connaissance que j'ai produite sur une quinzaine d'années, en mettant en exergue le processus créatif qui s'y est déployé. La relecture du passé se veut donc inventive, et la démarche nécessairement empirique.
Posons tout d’abord les cadres de recherche principaux dans lesquels vont évoluer réflexions et expérimentations. J’ai mené une approche historique et esthétique de l’art participatif international depuis les années 1950 ainsi que des études sur le reenactment dans les pratiques artistiques contemporaines et leur extension dans le champ du numérique. Le corps (représenté, agissant et médié) traverse l’ensemble. Ce dernier est un bon véhicule pour interroger la place et la fonction des sens et du système de réception dans les objets,d’étude. La notion de sensorialité est aussi un bon vecteur pour identifier un terrain commun existant entre différentes disciplines des arts et des sciences humaines, tout particulièrement
la sociologie et l'ethnologie, l’esthétique et les arts de la performance. Soulignons ensuite que pour mener cette lecture empirique à terme, je vais visiter diverses écritures de soi. Je vais notamment porter mon attention sur celles qui donnent la possibilité d'explorer les incarnations de sa propre activité cognitive et l’imaginaire qui s’y déploie. Ainsi, par exemple, par quels moyens rendre lisible les images qui façonnent une trajectoire de pensée ? Comment rendre opérationnels, dans le présent de l’auteure, les outils intellectuels fabriqués de sa relecture d’événements passés ? Cette lecture inventive devrait offrir la possibilité in fine de brosser le portrait de ce qui pourrait être qualifié de : intellectuelle-créative et/ou théoricienne de l'art incarnée.

Biographie

Anne-Claire Cauhapé est chargée de projets et chercheuse au laboratoire ALTER de l’Université de Pau, laboratoire interdisciplinaire en Arts, Lettres et Langues. Docteure en Arts, elle est aussi praticienne de la danse contemporaine à laquelle elle s’est formée auprès de nombreux chorégraphes en France et à l’international.
La réalisation de deux postdoctorats au Canada lui ont permis de développer une expertise dans le domaine de la recherche-création qui constitue aujourd’hui le cœur de son travail de recherche. En complément de ses travaux de recherche, elle a mené de nombreuses activités d’enseignement théorique et pratique dans diverses universités en France (Pau, Lille, Grenoble) et au Canada (Montréal).

Corinne Melin est Docteure en esthétique et sciences de l’art, Université Paris 8; membre associé du Laboratoire du Geste dirigé par Mélanie Perrier et Barbara Formis; professeure d’histoire de l‘art contemporain et d'esthétique à l’ESAD des Pyrénées, site de Pau. Elle mène une approche historique et esthétique de l’art participatif international depuis les années 1950, et interroge le reenactment (reconstitution) dans les pratiques artistiques contemporaines et leur extension dans le champ du numérique. La notion de corps (représenté, agissant, médié) traverse ces recherches. Elle s’intéresse également aux terrains communs existants entre différentes disciplines des arts et des sciences humaines, tout particulièrement la sociologie, la philosophie et les arts de la performance.corinnemelin.org